lundi 21 mars 2011

Le mouvement Lavalas : planche de salut d'Haïti

Haïti 7 février 1986. Le pays se réveille de trois décennies de dictature duvaliériste. Plusieurs partis politiques d'opposition ont contribué au renversement du régime. Aucun, cependant, ne peut prétendre au leadership du mouvement populaire qui a abouti à cet exploit.

Dans cette ambiance, les partis politiques, parfois fortement affaiblis par la dictature, tentent de se relever. L'enjeu politique est nettement différent de l'époque des Duvalier : il ne s'agit plus de renverser une dictature mais de construire une démocratie ; quelle démocratie ? Les partis politiques sont dépassés.

Certes, 26 mai 1979, une réflexion importante allait être livrée : « Les Impératifs de la Conjoncture » produite suite à une conférence animée par un prestigieux groupe d'intellectuels haïtiens (on en retrouvera certains au CONACOM) ; texte fondateur du RDNP. On peut y déceler un balbutiement conceptuel d'importantes revendications essentielles du mouvement qui prend corps en 1986, telle la prise en compte des acquis spécifiquement haïtiens, culturels, politiques, économiques. N'était-ce le manque d'ouverture du RDNP, ce parti aurait pu porter le mouvement qui allait devenir Lavalas.

Une tentative de regroupement excluant les partis politiques a lieu : le CONACOM (Comité National du Congrès des Mouvements Démocratiques). La logique du CONACOM d'alors est que les partis politiques ne répondant pas aux désidérata du peuple, il faut un mouvement non partisan pour y remédier. Logique démagogique s'il en est puisque dès le début, il n'y a d'autre voie que de transformer le Congrès en parti politique. Ses dirigeants le savent.

Mais, pas plus que les partis politiques, le CONACOM n'arrive à conceptualiser les revendications populaires donc ne peut réellement proposer une opérationalisation de ces revendications et réaliser ce que Georges Anglade appelait la jonction du politique et du scientifique..

C'est ainsi que se dessine dans l'ambiance diffuse de 1986 une mouvance politique sans tête, sans leader et qui comme seule formalisation adopte le vocable « Lavalas ». Le terme porte parfaitement l'idéal du mouvement : L'avalasse, c'est l'eau qui descend à torrents après une forte averse et qui lave, qui nettoie tout sur son passage.

« Lavalas » symbolise non seulement ce nettoyage, ce changement nécessaire dans la société corrompue héritée de la colonisation et revivifiée malicieusement par la dictature duvaliériste mais aussi et surtout un nouveau contrat social tout aussi nécessaire, contrat qui implique la mise au rebut de la pourriture qui gangrène la société dans tous ses recoins, le tout avec participation privilégiée de cette masse qui elle-même constitue le torrent qui fait place nette en apportant l'eau, source de vie nouvelle.

Lavalas n'est donc pas, n'en déplaise à Jean Bertrand Aristide, l'avalanche. L'avalanche détruit tout sur son passage et n'apporte rien de constructif. Ce n'est pas les déchets qui s'étalent partout. Lavalas, étymologiquement vient du français « avalasse » mais un mot voisin et synonyme porte peut-être mieux l'idée, c'est « la lavasse » qui vient de « laver ». Dans mon jeune âge, après une averse, tout était beau, l'air agréable à respirer, les rues « nickel ». Voilà ce qu'était le résultat de l'avalasse. Voilà le sens de Lavalas.

En 1987, après l'hécatombe électorale, Lavalas n'est toujours pas formalisée. Pour les élections de 1990, toujours aucun parti politique ne prend en charge ce qui devient un mouvement pas très clair et toujours sans leadership ; c'est sous le chapeau du FNCD que se rassemblent ses adeptes. Il est clair que dans ces élections, le FNCD est transporté par le mouvement Lavalas. A la recherche d'une figure emblématique, le FNCD trouve Jean-Bertrand Aristide pour lequel Victor Benoît est expulsé du poste de candidat à la présidence de la République.

Sans programme à l'aube des élections de 1990, Lavalas et le FNCD adoptent le texte écrit par Georges Anglade pour la circonstance : « La chance qui passe. » Ce texte, est le premier à rassembler l'ensemble des revendications du mouvement dans un cadre conceptuel solide et articulé. Ce texte qui aurait dû constituer le ciment des réflexions sectorielles produites après les élections sous le titre de « La chance à prendre ». Malheureusement, « La chance à prendre » se présente comme un lot de documents hétéroclites produits par des technocrates sans direction politique.

De même, les personnalités politiques, y compris le leader désigné, Jean-Bertrand Aristide, méprisent « La chance qui passe », et du même coup les fondements du mouvement Lavalas scellés dans le document.

C'est pendant le coup d'État qu'une nouvelle fois les esprits se ressaisissent : un groupe de militants, pour plusieurs, anciens du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (PUCH) forment l'« Organisation Politique Lavalas (OPL). » Le mouvement Lavalas semble alors se doter non seulement d'un nouveau texte de base « Pour convertir nos revers en victoires » mais d'une organisation politique formelle.

Entre temps, Aristide avec ses proches s'accapare du mouvement et entre ouvertement en conflit avec l'OPL dont les initiateurs n'avaient d'ailleurs épousé Lavalas que par intérêt. On se retrouve alors avec :
  • un leader charismatique aux visées populistes loin de l'idéal Lavalas et qui plus est, se construit un pouvoir personnel hors de toute organisation démocratique,
  • un parti politique démocratique dont les leaders, pour beaucoup, ne partagent pas ou ne comprennent pas l'idéal Lavalas.
Il résulte de l'opportunisme de l'OPL un changement de nom pour « Organisation du Peuple en Lutte » qui, après s'être baptisé Lavalas, fustige ce mouvement comme quelque chose de sale !

Aristide, pour sa part, consolide son pouvoir personnel et crée un parti politique : « Fanmi Lavalas » dont il est statutairement le dirigeant (Représentant National) à vie. Son « Livre blanc » n'est encore une fois qu'amalgame technocratique. Oh combien on est loin de l'idéal Lavalas !

En 2011, le mouvement Lavalas se retrouve sans organisation et sans leader. Les idées ne meurent pas : l'idéal est là. La tâche est ardue pour établir les trois piliers nécessaires à l'atteinte des objectifs :
  • l'organisation formelle,
  • le leadership politique et
  • la force conceptuelle.
La moisson est abondante...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire